Il y a des chocs qui éteignent la voix avant même qu’on ait eu le temps de crier.
Ce n’est pas un choix. Le corps et l’esprit se retirent pour survivre.
Quand tout semble s’effondrer, les mots s’effacent.
Ce n’est pas un oubli, c’est une manière de se protéger.
Le langage mis en veille
Lors d’un traumatisme, le cerveau agit en urgence.
Le thalamus ne filtre plus, l’amygdale cérébrale prend le contrôle (car elle est le centre d'alerte émotionnelle), le cortex préfrontal, siège du raisonnement et du langage, se met en retrait. En fait l'amygdale cérébrale a pris le dessus sur le cortex cérébral.
Tout s’organise autour d’une seule mission : se maintenir en vie. Au moment de l'évènement traumatisant, la personne va connaître différents signes de stress (augmentation du rythme cardiaque, les muscles qui se tendent, montée d'adrénaline..) La sidération provoque parfois l'incapacité à s'exprimer dans les minutes qui suivent.
Chez certaines personnes, l'incapacité à verbaliser ce qui s'est passé peut se prolonger. Elles revivent le ou les évènements traumatiques sans pouvoir l’exprimer. Ce n’est pas un manque de volonté de leur part mais une impossibilité biologique. Et si elles arrivent à en parler, elles sont alors débordées par la douleur de l'évènement.
Les cliniciens parlent alors de sidération post-traumatique.
Ainsi, les études menées sur la mémoire traumatique montrent que, sous stress extrême, le langage se désactive pour laisser place aux circuits de survie.
Le mutisme n’est donc pas une défaillance mais un mode de protection.
Le corps, mémoire du vécu
Pendant que la parole s’interrompt, le corps continue de se souvenir.
Il porte la trace du danger à travers la tension, les insomnies et les angoisses.
Ces signes sont résultent de la mémoire physique, d’une expérience douloureuse restée sans mot. Le corps raconte ce que la pensée n’a pas pu formuler.
C’est à cet endroit précis entre le corps qui se souvient et la parole absente ou hésitante que commence le travail thérapeutique.
L’équilibre fragile du soin
Chercher à obtenir un récit peut réactiver la peur. Alors avant toute parole, il faut restaurer la sécurité intérieure, c 'est-à-dire, faire en sorte que le corps comprenne qu’il n’est plus en danger et ainsi lui permettre de recourir au langage.
Le praticien ne force pas le récit mais va préparer la personne à lever les verrous intérieurs qui l'empêchent de dire ce qu'il a vécu.
Quand la parole se réveille
Progressivement, les mots reviennent. Ils sont hésitants, parfois fragmentaires voire désordonnés mais ils sont les pièces essentielles du puzzle à construire
Le souvenir demeure mais il perd la partie de charge émotionnelle qui empêchait toute communication externe. Peu à peu, le corps comprend que l’événement ne justifie plus le mode "survie".
Cette parole enfin libérée permet non pas de revivre l'évènement traumatisant mais de l'intégrer au titre des choses passées pour lesquelles on arrive à s'en souvenir sans être débordé.
Le rôle du praticien
Accompagner cette réouverture demande patience et discernement.
Le thérapeute veille au rythme propre de la personne, sans précipiter le processus.
Il guide le patient, si nécessaire, le rassure. C’est une gestation pour un retour progressif à une parole apaisée, maitrisée..
Retrouver la voix du présent
La guérison commence lorsque la personne peut dire « je » sans que le corps se défende.
Parler de ce qui fut sans revivre ce qui a été marque la réconciliation intérieure.
L'évènement traumatique n'est pas oublié mais il est intégré dans la mémoire sans que ce rappel actionne les signaux d'alerte qui jusqu'alors empêchaient de s'en souvenir sereinement. Les mots retrouvent leur place dans la vie.
Ce n’est pas seulement le langage qui se réveille, c’est la vie du patient qui retrouve sa voix, pour toutes les étapes connues jusqu'alors y compris les douleurs intenses.