Rien n'est immuable : le cerveau n'achève jamais son oeuvre.
Pour en finir avec les idées reçues.
Pendant longtemps, une idée s’est imposée dans l’imaginaire collectif : le cerveau serait un organe arrivé à maturité une bonne fois pour toutes.
Au-delà d’un certain âge, rien ne bougerait vraiment.
Héritée d’une époque où l’on ne disposait pas des outils d’analyse actuels, cette représentation a profondément façonné notre manière de comprendre le psychisme :on a pensé que les capacités étaient fixées, que les réactions s’expliquaient par des traits figés et que les traumatismes s’inscrivaient comme des cicatrices définitives.
Or, ces suppositions ne résistent plus aux récentes données scientifiques.
Les publications en 2025 des chercheurs-membres du consortium BICAN (Brain Initiative Cell Atlas Network) à l'issue de plusieurs années de travaux cliniques et cognitifs, dessinent un modèle nettement plus précis : le cerveau ne cesse pas de se transformer.
Il évolue, apprend, corrige, réorganise et parfois tente de réparer ce qu’il n’a pas pu traiter correctement au moment du choc.
Le cerveau adulte : un système dynamique, adaptable, en mouvement permanent.
Les avancées technologiques en cartographie cellulaire ont permis, pour la première fois, d’observer le développement du cerveau avec une précision inégalée.
Les résultats publiés dans la revue Nature en novembre 2025 sont clairs.
Certaines cellules poursuivent leur maturation bien après la naissance, des circuits neuronaux entiers se réorganisent en fonction des expériences vécues,
la structure même de certaines régions se modifie au fil du temps et le cerveau adulte, loin d’être rigide, présente une plasticité fonctionnelle et structurelle.
Or ce constat n’est pas anecdotique. Il jette un éclairage nouveau sur nos comportements, nos réactions émotionnelles et nos capacités d’adaptation.
Autrement dit : le cerveau n’est pas un « produit fini ». C’est un organisme en perpétuel développement.
Le traumatisme : une question de traitement, pas de volonté.
La compréhension moderne du traumatisme psychique repose sur un constat essentiel: ce n’est pas l’événement qui détermine la persistance de la souffrance, c’est le mode d’encodage et de consolidation du souvenir.
Les travaux de Anke Ehlers et David M. Clark ont transformé ce champ (cf. mon post intitulé du 22 novembre 2025)
Ils montrent que, lorsque le cerveau est submergé : l’encodage est fragmenté, les éléments sensoriels restent vifs, la menace n’est pas classée comme passée et les réseaux d’alarme restent actifs.
Ce n’est ni une faiblesse, ni un manque de recul, non plus un “problème de résilience”.
La personne ne “revient pas dessus”, c’est le souvenir qui revient tout seul, faute d’avoir été intégré dans la narration interne du passé.
Les travaux de Chris Brewin (cf. mon post intitulé du 22 novembre 2025) sur les mémoires involontaires ont montré que le cerveau peut conserver des fragments autonomes, indépendants de la mémoire autobiographique volontaire. Ce ne sont pas des anomalies, ce sont les conséquences d’un traitement non abouti.
Ce que les neurosciences montrent : la plasticité n’est pas un concept vague.
Dans le discours public, le terme “plasticité cérébrale” est souvent utilisé à tort et à travers.
Mais dans le domaine scientifique, il renvoie à des mécanismes précis, observables, mesurables :Création de nouvelles synapses affaiblissement ou renforcement de réseaux déjà existants, modification de l’intensité des circuits liés à la peur, modulation de la connectivité entre amygdale et cortex préfrontal, évolutions structurelles dans l’hippocampe, réorganisation du traitement des images mentales.
Les travaux d’Emily Holmes (cf. mon post intitulé du 22 novembre 2025), notamment sur le rôle de l’imagerie mentale dans la reconsolidation des souvenirs, apportent une pièce supplémentaire à ce puzzle :
ce que l’esprit revisite, dans certaines conditions, peut se modifier. Pas dans le sens d’un effacement mais dans celui d’une réinterprétation neurobiologique, où la charge émotionnelle peut être ajustée, adoucie ou déplacée.
Cela signifie que même des traces anciennes ne sont pas figées. Elles sont révisables.
Clinique : lorsque la biologie éclaire enfin ce que les patients vivent.
Le cadre scientifique permet de comprendre des phénomènes jusqu'alors souvent mal interprétés :
1. L’hypervigilance permanente.
Elle n’est pas une preuve d’anxiété générale. C’est le signe d’un système d’alarme resté activé faute d’intégration du souvenir.
2. Les réactions corporelles disproportionnées.
Elles résultent de circuits émotionnels qui n’ont pas été désactivés au moment du traitement initial.
3. Le sentiment que “quelque chose n’est pas terminé”.
C’est une lecture intuitive d’une réalité biologique : le cerveau n’a pas mené son travail jusqu’au bout.
4. L’impression de revivre le passé dans le présent.
Ce phénomène, souvent incompris, correspond à l’activité spontanée des mémoires involontaires décrites par Brewin. Il ne s’agit pas d’un problème psychologique, mais d’une interférence neurobiologique.
Pourquoi cette compréhension est déterminante pour l’accompagnement psychique.
Dès lors que l’on admet :
- que la mémoire est un processus dynamique,
- que le cerveau adulte est malléable,
- que les souvenirs peuvent être réorganisés,
- que les circuits de la peur peuvent se désactiver,
- et que la sécurité intérieure peut se reconstruire,
alors le traumatisme n’est plus un destin. Il devient un processus inachevé et, alors, on peut aider le cerveau à finaliser la gestion de ce trauma, avec un cadre précis et non suggestif.
Le travail clinique n’est donc pas d’amener la personne à “comprendre”, “pardonner” ou “relativiser”.
Il consiste à créer les conditions permettant au cerveau de : reprendre son travail, de réajuster ce qui n’a pas été consolidé, de réinscrire le souvenir dans une forme intégrée et de restaurer une cohérence interne.
Ce n’est ni magique ni psychologique : c’est biologique !
Un champ en expansion, où science et clinique convergent.
Les neurosciences reconnaissent aujourd’hui que des zones du cerveau restent mal cartographiées. Certaines régions fonctionnent selon des modalités que nous comprenons encore imparfaitement. Cette humilité n’est pas un aveu d’ignorance : c’est la preuve d’une recherche scientifique et clinique en plein mouvement.
Et dans ce mouvement, une certitude se dégage : le cerveau humain n’est jamais un système clos, abouti, fix dans son état une fois pour toutes..
Le cerveau évolue. Il apprend. Il corrige. Il réorganise. Il reprend ce qu’il n’a pas terminé.
L'ouverture vers une perspective solide, documentée, utile.
Dire que “le cerveau n’achève jamais son œuvre” n’est pas un slogan. C’est un fait scientifique qui est documenté, partagé par plusieurs le croisement de travaux de recherches de différentes équipes et confirmé par la clinique.
Cette idée rappelle trois choses essentielles :
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Un traumatisme n’est pas une fatalité qui devrait demeurer sans traitement de sa charge émotionnelle négative qui peut déborder celui qui en souffre tout au long de sa vie.
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Le cerveau adulte peut encore se transformer profondément. La mémoire n’est pas une archive : c’est une matière vivante.
Comme il vient de l'être expliqué : rien n’est immuable, ni les circuits de la peur, ni les réponses du corps, ni les traces laissées par le passé.